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Benoit Vidal
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Benoit Vidal
17 janvier 2022

Le photographe (2003) d’Emmanuel Guibert

Dans Le photographe (trois tomes publiés entre 2003 et 2006 chez Dupuis dans la collection Aire Libre), Emmanuel Guibert raconte l'histoire vraie d'un photographe, Didier Lefèvre, qui avait accompagné des équipes de Médecin Sans Frontières en Afghanistan en 1986.

Le_photographe_lescouv

En dehors de l'histoire, passionnante, la grande particularité de cet ouvrage unique (ou presque) en son genre est la suivante : Le photographe, dont on raconte l'histoire, a accumulé de très nombreuses photographies. Il est donc logique et tentant de vouloir utiliser cette réserve iconographique pour illustrer l'histoire.

Mais le problème, c'est que le photographe a fait des photographies sans savoir qu'un jour elles pourraient servir à raconter son histoire. Il y a donc des épisodes de son histoire qui peuvent facilement être illustrés par des photographies, comme par exemple la traversée d'une rivière avec des chevaux que le photographe a bombardés de photos (dont une très célèbre). Mais il y a beaucoup d'autres épisodes pour lesquels il n'a aucune image. Par exemple si le soir il doit dormir dans une cabane parmi des crottes de souris, il n'y a pas d'image pour illustrer la scène.

Le_Photographe-Didier Lefevre voyages en afghanistan  Le_Photographe-Voyage_en_Afghanistan

Pour raconter cette histoire, la démarche traditionnelle consiste à écrire un récit illustré de photographies. Ce livre existe, d'ailleurs. Il s’appelle «Voyages en Afghanistan » aux éditions Ouest-France.

C’est un livre illustré, mais pas un roman-photo, car on l'a compris, le roman-photo est impossible. Les photographies sont lacunaires, et elles ne peuvent pas conduire une narration. Il y a trop d'épisodes non couverts par des photographies.

On observe là une des difficultés du roman-photo : c'est une narration qui ne peut être improvisée, ou reconstruite a posteriori. Comme au cinéma, l'histoire doit préexister à la réalisation des prises de vue. Les photos sont au service de l'histoire. Il est très difficile de construire une narration cohérente à partir de photographies prises sans savoir qu'elles serviront à construire une narration.

Dans le photographe, Emmanuel Guibert a une idée géniale. Pour exploiter au mieux le matériel photographique disponible, il va chercher à construire une narration graphique. Mais comme les photographies ne suffisent pas, il comble les « trous » par des dessins. Il construit donc une œuvre hybride, plus proche de la BD que du roman-photo, permettant d’intégrer les photographies à la narration (et pas seulement en illustration). C’est génial parce que l’auteur exploite, ici, au mieux le matériel dont il dispose. Certaines pages s'apparentent d’ailleurs davantage à du roman-photo qu’à de la BD. En fait, on a l'impression que dès que c'est possible, Emmanuel Guibert fait du roman-photo, et ne fait de la BD que lorsque le roman-photo est impossible faute d'image appropriée pour conduire la narration.

Le_photographe_t2  Le_photographe-2

Le photographe démontre qu'il y a une place béante pour les formes de narration graphiques hybrides. La photographie apporte une véracité, un aspect documentaire, et le dessin, plus libre, permet de combler les lacunes. Je me plais à imaginer des romans dans lesquels l'action réelle serait photographiée alors que les flash-backs, les témoignages, les pensées, les rêves, enfin bref, tout ce qui se passe dans la tête des personnages serait dessiné.

Pauline à Paris possède finalement plusieurs points communs avec Le photographe. Car dans Pauline, les photos sont essentiellement là pour représenter la narratrice dans son décor actuel (la place du village, la terrasse, le platane...) alors que tout ce qui est du domaine de l'évocation (les images qui passent dans la tête de celui qui écoute ou du narrateur) sont des illustrations puisées à droite et à gauche, photos, peintures, dessins, cartes postales anciennes etc. donc des illustrations qui s'éloignent parfois beaucoup de la photographie.

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